Michel Saulnier Art Show

Les recentes series d’oeuvres de Michel Saulnier, intitulees Vita Sexualis, offrent une etonnante hybridite d’esprits, d’espaces et de techniques. Entre le japonisme et la <<quebecitude>> (l’atelier de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli), les oeuvres brisent l’habitude des enchainements logiques pour faire place a de surprenantes series de decompositions tenant a la fois du jeu et du reve et provoquant chez certains, un choc, chez d’autres, un sourire.

L’accrochage de mini-sculptures, espece de bibelots places au mur de la galerie, aligne cote a cote des structures verticales qui divisent des series d’objets par une tablette de verre-miroir. Au haut de cet axe de verre, on retrouve des tetes d’animaux, seules ou disposees en petit groupe, celle de l’ourson et celle du lapin, des jouets de l’enfance. Au bas, des parties du corps humain dont la langue, le sein, la fesse, le penis, la vulve, comme suspendues, coupees du reste du corps, sont associees aux figures animales disposees au-dessus des tablettes. En s’approchant de ces dispositifs visuels, le spectateur constate qu’il ne peut voir les tetes d’animaux que sous leur forme spectrale presque totalement effacees par le reflet de la vitre-miroir. L’axe de la tablette fait miroiter l’image des parties sexualisees. Devant ces deux oeuvres placees au mur, la position du voyeur se voit, en quelque sorte, a la fois renforcee et questionnee dans sa fonction critique, ce dernier devant respecter une exacte distance devant l’oeuvre de sorte que l’objet, ici, domine le sujet. Les systemes mis en oeuvre par Saulnier obligent le spectateur a se deplacer s’il veut tout voir. La vitre, comme axe, agit en guise de rupture entre les objets et les fait deraper de leur fondement de sens habituel. Les jouets, lies aux parties erogenes, fonctionnent sur les modes associatif et emotif. La decomposition de l’enchainement classique des choses place irremediablement le spectateur en etat d’alerte devant des sequences d’images illogiques. Les oreilles du lapin, par exemple, sculptees dans le bois de camphre (qui degage une odeur aimee de l’enfance), prennent une allure extremement flexible et manipulable. Saulnier leur donne la forme d’une lettre japonaise signifiant Centre de la foret. Ce signe japonais, juxtapose aux parties genitales masculines en detumescence, scinde le sens de l’oeuvre: d’une part, il prend l’equivalence du sens habituellement donne au Phallus dans la psychanalyse traditionnelle. Les parties genitales masculines, en tandem avec la tete de lapin, s’accordent avec ce <<Centre>> pour ne plus faire qu’un; d’autre part, ces objets places en duo deviennent une brillante critique de cette falsification voulant que le Phallus represente le metacentre de l’univers, ou encore, le constat du decentrement des sexualites en train de s’operer. Aussi, chaque tablette-oeuvre est a prendre comme une sorte de conte.

La tete de l’ourson, presque toujours associee au sexe feminin dans les dernieres oeuvres de Saulnier, se trouve parfois couplee avec la vulve ou le sein. Dans Vita Sexualis, sculpture en deux parties, elle metaphorise l’espace uterin. Le spectateur, ne voyant pas immediatement l’ouverture de la tete, n’en ressent l’effet de surprise qu’en la contournant. Le choc provoque par le contraste entre la rondeur laquee de l’exterieur de la tete et la rectitude rudement equarrie de son interieur s’apparente a la dissolution d’un masque sur un visage. L’interieur de la tete, d’abord preservee du regard, offre au spectateur une suite de cadres de bois formant a la fois l’armature de la forme spherique composant la tete d’ourson et l’armature architecturale des habitats de l’Amerique du Nord. Couplee a un immense nez de cuivre phalloforme, la tete trouve ici le corps de l’entite fracturee. Comme pour quelques-unes de ses oeuvres precedentes (par exemple Marine de 1986), Saulnier pratique, ici, la condensation d’images formant l’association <<tetemaison>> ou <<etre-lieu>>. Les deux parties relevees a la verticale, mises l’une sur l’autre, fonctionneraient comme un bilboquet. Le nez dans sa forme phallique et la tete d’ourson, dont l’ouverture rappellant l’espace <<uterin>> devient habitable, permettent l’emboitement de l’un a l’interieur de l’autre en toute complementarite.

Les bois magnifiquement lustres au vernis Urushi, laque provenant de l’arbre chinois du meme nom, releve des nombreux emprunts de l’art japonais au peuple chinois. Sur papier, le resultat de cette sorte de vernis demeure unique et peut se situer visuellement entre la transparence de l’aquarelle et l’opacite de l’huile. En effet, cette matiere glisse et adhere au papier mais jamais de maniere parfaitement egale, de sorte qu’en se solidifiant, la laque prend l’aspect formel d’une coagulation. Deux tableaux representent des zones erogenes des corps masculin et feminin, l’un compose des parties genitales males et l’autre portant l’effigie du sein maternel. Des tetes d’ourson entourent les parties sexuelles masculines demontrant, par leur voisinage, comment elles demeurent toujours a l’exterieur de l’homme comme il en va de la gestation. Tandis que le meme embleme, dans l’autre dessin, en superposition avec le sein, y apparait en parfaite osmose.

Les qualites de l’estampe japonaise, le fond blanc, la perspective desorientee, l’usage absolu de la dissymetrie, la rupture de l’equilibre et de la ponderation des masses, la forme tronquee par le cadre, sont devenues des tactiques reprises par les artistes modernes cherchant a fonder l’aspect visuel d’une certaine instabilite. Certains de ces attributs se retrouvent dans l’oeuvre de Saulnier mais laissent dominer les points de vue inattendus qui ordonnent les oeuvres et qui gerent leur sens critique. En effet, bien que naives au premier abord, ces combinaisons des parties du corps humain, tant de fois vues, avec celles des animaux, jouets banals de tous les enfants, prennent, dans la conscience alertee du spectateur, un sens critique revolutionnant les formules toutes faites en matiere de sexualite. En employant certaines manoeuvres du japonisme, Vita Sexualis redonne a l’objet toute son importance face au sujet. Purifie de son contexte habituel, il passe d’un statut familier a celui d’etranger. Le dispositif des oeuvres se trouve a prescrire au spectateur un indice de leur condition sans en obliger leur signifie. Aussi, le desequilibre existant entre les formes superposees s’amortit encore dans la naissance de nouvelles strategies, celles de tout un chacun, questionnant la vie sexuelle en cette periode regeneratrice d’instabilite.